Michel Cambergagnos

Évoquer Michel Camberganos, sa vie, ses activités parallèles qu'il déploya en dehors de son travail salarié, nous ramène dans un premier temps à Michel Georges Camberganos, son père. Ce dernier naquit dans une partie de l'Europe marquée depuis 1821 par des alternances d'hostilités armées entre la Grèce et la Turquie. Elles durèrent jusqu'en 1922. Les frontières entre les antagonistes étaient mal définies, voilà de quoi expliquer qu'il vint au monde le 15 mai 1896, d'après le registre du commerce de Vaucluse, à Sivresans, de nationalité turque, et que l'acte de décès, inscrit à la mairie de Sorgues, indique qu'il fut accueilli sur terre le 10 mai 1898 à Chervissari en Grèce. Nous avons trouvé qu'il naquit à Smyrne en Turquie. Il pouvait donc avoir le don d'ubiquité !

Très tôt, à l'âge de vingt ans, il s'échappa de ce pays instable et dangereux pour sa vie. Deux partis s'affrontaient dans des engagements militaires surnommés « vêpres grecques », événements survenus du 18 novembre 1916 (Calendrier julien) au ler décembre.

Des troupes loyalistes au roi Constantin de Grèce soupçonné d'entretenir des relations secrètes avec l'empire austro-hongrois et l'Allemagne luttaient face à des forces franco-britanniques soutenues par des Grecs partisans de Venizelos (1). Il s'expatria en France, à Sorgues plus précisément où travaillaient à la Poudrerie Nationale deux cent soixante et onze Grecs, cent soixante-six en situation régulière et cent cinq sans aucun papier. C'était un véritable chaudron de sorcière dans lequel s'affrontaient physiquement les vénizélistes et les loyalistes au roi de Grèce (2).

Cet exilé politique rencontra une ouvrière italienne, Madeleine Cardone. De cette union naquirent deux enfants, Michel Georges (3) le 12 septembre 1920 et Marie sa soeur. Le 17 mars 1923, il s'inscrivit au registre du commerce, sous le numéro 5212, afin d'exercer le commerce de marchand forain en chaussures. L'expérience ne dura pas, il cessa son exploitation en 1924.

Madeleine allait décéder rapidement. Sans parenté locale, Georges repartit en Grèce en compagnie de ses enfants. Là, il trouva aide parmi les siens. Il se maria avec une Grecque, Marie Pandréménos. Le nouveau ménage n'eut aucun enfant, mais Marie aura élevé et aura aimé Michel et sa soeur comme ses propres enfants.

Dans les années 1930, le couple revint à Sorgues. Michel fréquenta l'école communale de garçons jusqu'à l'âge de douze ans. Il eut, comme instituteur, monsieur Mus. Ensuite, ce fut l'époque où il travailla avec son père, commerçant forain, il vendait des confiseries. Cette activité le conduisit jusqu'en 1942. À ce moment-là, le gouvernement de Vichy, à la demande des autorités allemandes, organisa une série de lois permettant d'envoyer de jeunes Français travailler de force en Allemagne. C'était le S.T.O., service du travail obligatoire. Au 30 septembre 1944, il y avait environ 700 000 requis français incorporés contre leur gré, parmi lesquels Michel Camberganos.

Ses camarades de galère le surnommèrent Mickey, américanisant son prénom car son épaisse chevelure ressemblait à celle de l'acteur Johnny Weissmüller (4) !

Après avoir été libéré par les Alliés, Michel rentra en France. Une fois à Sorgues, en 1945, il fit la connaissance de Simone Yvonne Tagliolini, ce fut un coup de foudre. Cet engouement réciproque fut très mal accueilli par les parents de Simone, elle n'avait que quinze ans, et ils n'avaient pas l'intention d'accepter cette union précoce. Sur une suggestion d'une voisine, « Mickey » enleva Simone. Ils allèrent se réfugier à Grenoble, chez la soeur jumelle de Marie Pandréménos, épouse de Georges Camberganos.

La future épousée avait pris soin en partant de vêtir plusieurs robes. Devant le fait accompli, le veto fut levé et le mariage eut lieu le 3 août 1946.

Les jeunes mariés s'installèrent à la cité Denis Soulier qui fut leur seul domicile, et de cet hymen naquirent deux filles : Madeleine en 1948 et Annie en 1953.

Michel reprit son ancien métier de marchand forain, il vendait biscuits et bonbons sur les marchés. Ce négoce permettait à la maisonnée de vivre dans une honnête aisance. Mais la quiétude domestique fut entièrement bouleversée par les problèmes de santé de l'épouse. En bon père de famille, il accomplit toutes les tâches ménagères, et il se chargea de l'éducation de ses deux filles. Le surcroît de travail imposé par sa nouvelle situation familiale lui commanda de rechercher une activité sédentaire.

À regret, il renonça à son commerce ambulant pour avoir pour nouvel état, en 1960, dans un premier temps manoeuvre-maçon puis, à la fin de la même année, recruté à la mairie de Sorgues, il devint employé au service de la voirie.


Le regret d'avoir abandonné son ancien métier l'a poussé à être à nouveau forain au marché à Sorgues les dimanches et jours fériés. Il s'installait à côté du café de l'Industrie face à la pharmacie Bouissou (pharmacie de la Fontaine à l'heure actuelle). De son étal partait l'odeur des beignets frits, ces délicieux « chichis ou churros maison », les passants narines en l'air en humaient gloutonnement l'effluve parfumé. Il vendait aux chalands des frites croustillantes. Elles faisaient sa notoriété, elles étaient emballées dans un sac en cellophane.(5)

Plus tard, le dimanche, il aida la famille Pastor à tenir, sur le marché, un banc de fruits et légumes. En 1985, il prit sa retraite d'employé municipal. Il ne profita guère de ce repos : grand fumeur, il décéda à l'âge de 71 ans d'un cancer du poumon.

Il émergeait dans le petit monde sorguais par son style truculent et son grand coeur. Mickey plaisait à toute la population car il parlait le même langage qu'elle.

Article de Mme Pina Agnès

extrait de la 29ème édition des Etudes Sorguaises "Des notables aux commerçants..." 2018

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(1) Venizelos, futur premier ministre de la Grèce, favorable aux Alliés (grande Bretagne-France), il naquit le 23 août 1864 à Mourniés en Crète, il décéda le 18 mars1936 à Paris. Wikipedia.

(2) Archives départementales, lettre du préfet de Vaucluse au ministre de l'Intérieur du 12 janvier 1917 et les Études Sorguaises, article d'Alain Sicard et André Simon, 17° édition, année 2006, pages 68 & 69. .

(3) Ce fut Claudia Bernard, sage femme, qui accoucha Madeleine. Pour en savoir plus sur la biographie de Claudia Bernard, lire les Études Sorguaises, numéro 21, pages 115 et suivante.

(4) Johnny Weissmuller, ou Johann Peter Weissmüller, ou en hongrois Jânos Péter Weissmüller naquit le 2 juin 1904 à Freidorf en Autriche-Hongrie (aujourd'hui en Roumanie). Il mourut le 20 janvier 1984 à Acapulco au Mexique. C'était un nageur olympique américain ayant remporté cinq médailles d'or aux Jeux olympiques et un acteur de cinéma célèbre pour avoir incarné le personnage de Tarzan à douze reprises durant les années 1930 et 1940.

(5) Cellophane, nom masculin ou féminin, est une marque de commerce relative à une pellicule souple et transparente d'hydrate de cellulose, utilisée pour l'emballage.